Vie sociale sauvegardée et restrictions des approvisionnements
Vie quotidienne en temps de crise, nos aînés se souviennent
Gil. Colliard | Le 1er avril 2020, Andrée Fornallaz, doyenne des Oronais fêtait son 102e anniversaire. Quelques jours auparavant, elle a accepté de nous livrer, par téléphone, quelques souvenirs du temps de la guerre 1939-1945. Une époque au cours de laquelle le ravitaillement était drastiquement contingenté par des coupons mais sans contrainte au niveau de la vie sociale.
Du travail et peu de distractions
Andrée Fornallaz est citoyenne d’Oron-la-Ville depuis 96 ans. « Mon papa était boucher, il s’était établi à Montreux, puis à Cully, mais comme je n’étais pas en santé au bord du lac, nous sommes venus, ici en février 1924. Il a repris la boucherie actuellement tenue par la famille Sonney. Dès 1935, nous avons quitté la boucherie, car cette activité avait rendu maman malade. Papa a pris une petite campagne et nous avons habité la villa des « Carres ». A la place de l’église catholique, des maisons qui l’entourent et du parking actuel, nous y avions un terrain avec une grange, une écurie, un verger et un jardin. Il louait aussi du terrain à Oron-la-Ville ainsi qu’à Essertes et faisait en même temps marchand de bétail » se souvient-elle. Etant l’aînée avec une différence d’âge de 9 ans avec sa cadette et de 13 ans avec sa plus jeune sœur, elle est restée à la maison pour aider, contrairement à ses sœurs qui ont appris serveuse et couturière. « Il n’y avait pas de distraction et pas d’argent. Il fallait se mettre à genoux pour avoir les sous pour le cinéma. Je n’ai pas eu droit à apprendre un métier, mais mes parents m’ont envoyée à l’école ménagère de Marcelin, au-dessus de Morges pendant cinq mois en hiver, période où il y avait moins de travail. J’ai encore reçu dernièrement une invitation pour un repas » évoque-t-elle.
Les femmes ont assuré le travail de la campagne
Le jour de la mobilisation, en 1939, la jeune femme et son fiancé était en vacances à Zurich chez la sœur de sa mère. « Nous étions parti visiter l’Exposition nationale qui se déroulait justement à Zurich. Malheureusement, nous ne l’avons jamais vue, les portes se sont fermées devant nous. Albert, mon futur mari, est parti à la gare prendre le train pour aller mettre ses habits militaires » raconte-t-elle. Pendant cette époque difficile, Andrée qui était devenue Madame Fornallaz, a prêté main forte à sa maman pour le travail de la campagne, les deux hommes ayant été incorporés. « Mon mari était coiffeur, il était installé où se trouvent actuellement le cabinet du podologue et le salon de coiffure, au centre d’Oron-la-Ville. Il a rejoint la troupe des cyclistes et mon papa les cuisines. Papa est décédé à l’âge de 50 ans en 1941. Maman refusant de traire, nous nous sommes séparées des vaches, sauf une et avons gardé les génisses. Nous avons effectué le dur travail de la campagne. Du jour au lendemain, tout a été fermé jusqu’à l’arrivée des coupons de rationnement. Ils n’étaient pas gros. On ne pouvait obtenir des denrées et de la lessive sans eux » souligne la doyenne. De 1941 à 1948, quatre enfants sont venus agrandir la famille. Elle a eu recours, comme beaucoup, au marché noir, en partant de nuit, pour trouver quelques denrées supplémentaires afin de compléter les maigres repas.
Il faut faire avec !
Pour la sympathique centenaire, il n’y a pas vraiment de comparaison entre l’époque de la mobilisation de 1939 et nos jours. Certes, le travail était dur et la table peu garnie, mais dans la petite cité campagnarde d’Oron-la-Ville, tout le monde se connaissait, l’entente était belle, la vie sociale était là, avec ses soirées de gym, de fanfare, etc. Les enfants allaient à l’école. « Ce n’était pas du tout la même chose, les coupons nous courraient après, pas la maladie. On allait dans les magasins Corboz, Fame, chez Mlle Robert. Nous avons vécu la libération tout simplement en écoutant la radio dont il fallait essayer de capter les ondes. Nous étions surtout contents de déposer les coupons qui sont assez vite tombés. Ce qui se passe aujourd’hui est épouvantable, mais on peut se parler par téléphone et nous avons la chance de vivre ici. Comme à l’époque, il faut faire avec ! » conclut avec sagesse Andrée Fornallaz, qui vit dans l’appartement de la maison familiale, seule depuis le décès de son mari il y a 35 ans. Ravitaillée par son fils, elle effectue tout de même sa petite balade chaque jour. Nous la remercions ici pour nous avoir accordé, avec gentillesse, ce contact téléphonique et lui adressons nos vœux de santé pour la suite.