Toucan 5 – Le disparu de Lutry – Un roman de Christian Dick
C’était la différence entre elle et lui, souvent aussi, entre la femme et l’homme.
– Allô ? Je parle encore à quelqu’un ? fit la voix.
– Désolé. J’ai été mauvais. Avons-nous encore une chance ?
– Une chance de quoi ?
– Une chance de nous, répondit Cordey.
– Franchement, maintenant, je n’en sais rien.
– Mais… pouvons-nous essayer ?
– Boire un café dans ton bistrot, fit la voix après un moment qui parut sans fin à Cordey, arpenter les rues de Lausanne, dormir chez toi après un dernier verre ? Et reprendre le lendemain le train du retour ? Et me dire ou m’entendre dire que les choses commencent à changer ? Se rappeler de temps à autre et passer une autre journée en sens inverse pour tout changement ?…
Cordey n’avait rien à répondre, aucun argument à lui opposer. Lui restait-il la moindre chance ?
– J’ai besoin, comme toutes les femmes, poursuivit la voix, de sentir un homme à mon côté. Pas seulement sur l’oreiller, mais aussi pour poser ma tête sur son épaule et lui raconter ma journée. Pour en envisager une autre, sans le dernier verre, le dernier train, les derniers mots avant qu’on se rappelle un de ces jours. Surtout, pouvoir faire confiance. Dois-je te rappeler ce qui nous est arrivé, ce que tu as fait ?
– C’est moi qui poserais ma tête sur ton épaule. Je ne te trahirai plus. Nous aurions quatre heures.
– Quatre heures ? fit la voix, curieuse. Ça nous changerait d’un café ou d’une promenade à Ouchy…
– Voilà comment je vois la chose, avança avec précaution un Cordey qui retrouvait ses idées. Moins de cinquante kilomètres séparent Versoix de Lutry par le lac. J’ai plus ou moins vérifié. En naviguant entre treize et quatorze noeuds, il me semble qu’il ne nous faudrait pas plus de deux heures.
– Ça commence bien ! Un boulot ? Et les deux heures qui manquent, c’est le retour ?
– Non. C’est ma chance ! Ma dernière chance avec toi. On s’arrête manger des filets de perche en route. Tu dois bien connaître un pêcheur ou un bistrot sympa. Si tu préfères, on pique-nique au milieu du lac ?
– Et qu’allons-nous faire à Versoix ?
– Voir une digue.
– Une digue ? fit la voix, à peine ironique. Tu veux échouer mon bateau ?
– Non. Un autre l’a fait il y a onze ans. J’aimerais me faire une idée.
– Tu rempiles ?
– Pas vraiment. C’est une demande privée. C’est aussi un peu pour toi, pour nous, dit-il.
– Va pour quatre heures. Ensuite, que faisons-nous ? Je te rappelle qu’on est à Genève et venus par le lac.
– Après, on décide, répondit Cordey. Tu peux rentrer par le lac et me laisser sur place. On peut rentrer ensemble en deux heures si tu es pressée, en quatre si tu l’es moins.
– Ça nous fait déjà six heures, peut-être huit, dit-elle.
– On peut aussi continuer.
– Continuer ? Descendre le Rhône ? Par-dessus le pont de la Machine ? fit en riant la voix claire d’Amanda.
– Pas tout à fait. On s’arrête à la Nautique où j’ai également à faire.
– La Nautique ? Tu rigoles ? C’est très sélect. Il faut être membre, montrer patte blanche.
Cordey n’avait plus sa carte d’inspecteur de la Police de sûreté et n’était membre d’aucun club nautique. Mais les deux, à bord de l’ancien canot… ça pouvait passer.
– On peut essayer. On amarre aux places visiteurs et on demande l’accès au restaurant.
– Et après ? questionna-t-elle. Tu as posé tes questions, rempli ton calepin, ton enquête est finie, on rentre ?
– Non.
– Alors quoi ? On reste ?
– Non. On rentre ensemble.
– C’est toi qui le dis, dit-elle en riant. Allons déjà à Versoix. Mais si je me rends compte que rien en toi n’a changé, que tout est comme avant, je te laisse et tu rentres à la nage. Surtout, ne me déçois plus jamais.
– C’est promis.
– Laisse-moi d’abord m’arranger pour le canot. Il n’a pas navigué depuis un moment. Je te rappelle ensuite.
– Merci. Bonne nuit.
– Toi aussi. Dors bien. A bientôt.
A SUIVRE…