CinéDoc «Nothingwood» – Salim Shaheen, entre Ted Robert et Jean-Pierre Mocky
«Nothingwood», un documentaire de Sonia Kronlund
Colette Ramsauer | Après Hollywood et Bollywood, voici Nothingwood, le cinéma qui n’a pas d’argent et qui pourtant fonctionne, et se porte bien. En Afghanistan où la guerre n’en finit pas, sur des terrains minés, Salim Shaheen réalisateur loufoque, mégalo, prolifique et adulé, tourne son 111e film. Dans des paysages grandioses, la réalisatrice française Sonia Kronlund l’a suivi pour 5 jours de tournage. Renversant!
Connu pour séries Z
«Camera, lights, action!» Pas de mégaphone pour se faire entendre. Salim Shaheen hurle, vocifère parmi les figurants, des hommes sans exception, déplacés en grand nombre sur un haut-plateau de montagne. N’ayez crainte, Salim au physique imposant ne mord pas, il est plutôt gentil, pacifiste même. Il ne manque pas d’empathie non plus: «Une star doit aider les plus faibles, c’est ce que j’ai promis de faire avec le cinéma». Enfant, parce qu’il aimait le 7e art, il se faisait rouer de coups par ses frères. Il rampait dans les salles obscures, se faisait sortir à tout moment. Il savait que du cinéma, il allait faire sa vie. Il se fera connaître du grand public par des séries Z. D’autres de ses films sont vus clandestinement.
Advienne que pourra
Lorsqu’il passe devant la caméra, Salim chante et danse avec beaucoup d’aisance, mais ses acteurs favoris sont Qurban Ali, électricien de métier – homme efféminé qui prend, s’il le faut, le rôle de femme – ses fils ainsi qu’une poignée d’amis. Fatalisme et humour permettent tout. Les repérages sont hâtifs, le casting n’est pas un casse-tête, les costumes sont dénichés dans les souks. Les techniciens apprennent sur le tas. Advienne que pourra! Le scénariste explique qu’il n’a pas eu le temps de s’instruire, que très jeune il a laissé l’école pour prendre les armes. Une barbe touffue et des grosses lunettes noires cachent son visage défiguré par une grenade.
Entre réalité et fiction
Le film dans le film, raconte le parcours de l’excentrique réalisateur. On le voit enfant, battu par ses frères. Puis on le voit soldat, remercié pour avoir risqué sa vie, avec les honneurs et un pécule qui lui servira à l’achat d’une caméra, rôle que tient difficilement son fils. Ce qui le met en furie. Il inclut dans son film une séquence en direct de l’attaque de son quartier faisant dix morts, et où il disparaît sous les décombres. « Dieu décide où tu meurs » c’est ce qu’on se dit dans un pays en guerre. Dans un climat d’insécurité constante, l’équipe de Sonia Kronlund passe plusieurs barrages de sécurité. Entre démarche de documentaire et fiction de Salim, on croit rêver lorsque les soldats afghans de l’Otan prêtent leurs armes aux acteurs, les instruisant sur comment fonctionne la kalachnikov!
L’absence des femmes
Confinées chez elles avec leur progéniture, les femmes n’apparaissent pas ou très rarement. On ne peut s’empêcher de penser à Malala Yousafzai (Nobel de la paix 2014) militante des droits des femmes dans une province voisine au Pakistan où les talibans locaux interdisaient aux filles de fréquenter l’école. Une lueur d’espoir également avait resurgi suite au retrait des troupes russes de l’Afghanistan. Ces maigres acquis apparemment ont disparu. A Sonia Kronlund, Salim n’a présenté de sa famille que ses fils. Les plaisanteries sur les femmes vont bon train sur le tournage de «Nothingwood». La documentariste, qui dénonce la condition des femmes d’Afghanistan dans de précédents reportages, ne se permettrait pourtant de les contredire.
Au Temple de Bamiyan
Etonnant est de constater la considération qu’ont pour elle tous ces mâles, mises à part quelques remarques machistes, pas bien méchantes dirons-nous, quand elle est inquiète pour sa sécurité; lorsqu’elle s’essouffle à la visite du temple de Buddha détruit par les Talibans, ou lorsqu’elle est prise par le vertige sur le grand dragon fendu par la fureur d’Allah, deux endroits spectaculaires à découvrir dans le film. «Nothingwood» de Sonia Kronlund dévoile les réalités d’un pays étonnant, aux mœurs qui souvent nous échappent. A voir!