Quand le dessin politique et le dessin poétique coexistent ou s’opposent
Musée Jenisch de Vevey, jusqu’au 24 février 2019
Pierre Jeanneret | Quoi de commun entre ces deux genres? Le commissaire de l’exposition, l’artiste connu Frédéric Pajak, a été frappé par le double fait, d’une part que des œuvres de dénonciation politique témoignent d’une grande exigence esthétique, d’autre part que beaucoup de dessinateurs politiques ont, parallèlement et parfois sans les faire connaître, exécuté des paysages. Voulaient-ils par là échapper à l’Histoire, s’extraire un moment des horreurs du monde? Là où le propos est le plus pertinent, c’est lorsque l’exposition veveysanne présente à la fois, voire côte à côte, des dessins politiques et poétiques du même artiste. C’est par exemple le cas pour Otto Dix, blessé en 14-18, devenu pacifiste et engagé avec une grande violence dans son œuvre contre la guerre. Mais lors de son exil aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, il dessine de paisibles paysages du Massachussetts. Plus proche de nous, Martial Leiter livre un dessin féroce illustrant la misère d’un monde où des enfants noirs meurent de faim… et d’admirables œuvres champêtres où éclate aussi son génie du noir-blanc. Oskar Kokoschka, connu pour ses représentations de villes, campagnes et bouquets de fleurs, a dessiné quant à lui en 1937 une affiche en faveur de l’aide aux enfants basques bombardés par l’aviation italo-allemande au service de Franco. De Van Gogh, on ne verra pas ses fameux tournesols, mais des œuvres de jeunesse réalisées en Hollande et montrant la misère populaire. Elles font écho aux mendiants de Rembrandt. Et on pourrait multiplier les exemples… Mais ce parallèle n’est pas systématique dans l’exposition, ce qui lui aurait donné un caractère un peu mécanique et monotone. Des salles sont donc dévolues au seul dessin politique. Celui-ci est souvent ironique et grinçant: beaucoup ont pris Charles de Gaulle pour cible. Goya, dans ses planches intitulées Les désastres de la guerre, a illustré les atrocités, commises par les deux camps, lors de la guérilla menée contre Napoléon en Espagne. Les Allemands George Grosz et Käthe Köllwitz ont montré les misères de la Première Guerre mondiale. Varlin (Otto Guggenheim) a réalisé dès 1933 un livre de dessins terriblement prémonitoires sur le sort qui attendait les Juifs. Bouleversantes, ces œuvres de Julius C. Turner faites dans le camp français de Gurs, avant le départ vers Auschwitz. Même la religion n’échappe pas à la férocité du dessin critique: ainsi cette échographie de la Vierge Marie devant les Rois Mages! Et bien sûr, on trouve dans l’exposition les grands classiques: Daumier, Vallotton, Steinlen à la sensibilié anarchiste… A ces dessins souvent bouleversants s’opposent de superbes paysages paisibles, produits ou non par ces mêmes artistes. Parmi eux, les admirables gravures d’arbres du Morgien Alexis Forel, une Jungfrau japonisante de Vallotton, les paysages lacustres de Hodler, deux belles marines de Jacques Pajak, le père trop tôt disparu du commissaire de l’exposition. Et bien d’autres à découvrir. Que le visiteur soit plus intéressé par le dessin politique ou le dessin poétique, il trouvera dans cette confrontation entre les deux genres matière à réflexion, et surtout beaucoup de bonheur devant cet exceptionnel ensemble qui comporte nombre de chefs-d’œuvre.
«Dessin politique. Dessin poétique» Musée Jenisch, Vevey, jusqu’au 24 février 2019.