Pully: le peintre Edouard Morerod sorti de l’oubli
Pierre Jeanneret | Le peintre vaudois Edouard Morerod (1879-1919) fut un représentant de l’orientalisme. Cette école artistique fut à la mode au XIXe siècle. Elle se plaisait à représenter un Orient fantasmé, exotique, des scènes de harem, des odalisques lascives, de fougueux cavaliers marocains lancés dans leurs fantasias. Son plus illustre représentant fut Eugène Delacroix. Morerod appartint aussi au mouvement hispanophile. Cette vogue de l’Espagne s’est traduite, notamment, par la nouvelle Carmen de Prosper Mérimée, et sa transcription musicale en opéra par Bizet en 1872. Cependant Edouard Morerod fut un orientaliste et un hispanophile original, qui ne s’est pas contenté de clichés exotiques de pacotille. Ce natif d’Aigle découvrit en 1904 l’Espagne, qui devint sa seconde patrie. Il s’attacha surtout à l’Andalousie, dont il aimait l’intensité des couleurs, la vie animée, l’expressivité des visages, par rapport à une Suisse qu’il jugeait ennuyeuse et terne. Portraitiste de talent, il a notamment peint les Gitans, qui représentaient pour lui un «primitivisme» authentique, non pollué par la civilisation moderne. L’une de ces Gitanes, Pastora, devint son idéal de beauté féminine. Ce qui l’intéressait, à l’instar de son maître Théophile Steinlen, c’étaient le peuple, les petites gens. Morerod s’est aussi attaché à représenter la terre rude, brûlée de soleil de l’Espagne. L’œuvre d’Edouard Morerod réalisée en Espagne est incontestablement le meilleur de sa production. Mais, atteint de tuberculose – la maladie qui l’emportera à quarante ans – il dut régulièrement rentrer en Suisse pour de longs séjours à Leysin. Faute de paysages espagnols, il se résigna à peindre des montagnes suisses, sans conviction… On remarquera cependant un beau Chamossaire vu de la station climatique. D’Espagne, Edouard Morerod passa à deux reprises au Maroc. Il séjourna en 1905 et 1911 à Tanger. Il en a rapporté d’émouvants dessins d’aveugles demandant l’aumône. Son meilleur tableau marocain est peut-être Vendeuses de pain, où les femmes enveloppées dans leurs amples vêtements sont montrées de nuit, à la lueur des lanternes. Morerod fut très lié d’amitié avec un autre peintre vaudois, beaucoup plus connu, Marius Borgeaud (1861-1924), ce fils de famille qui dilapida sa fortune avant de se lancer dans une féconde carrière artistique. L’exposition présente donc aussi un certain nombre de toiles de ce dernier. Avec la déclaration de guerre de 1914, la peinture d’Edouard Morerod devient beaucoup plus sombre. Il a notamment peint une toile d’une grande expressivité pathétique, Femmes devant un jeune homme tué (1916), comme un écho de sa propre mort qui s’approchait inéluctablement. Au deuxième étage du Musée est montrée pour la première fois au public la donation de la famille Magnenat. Celle-ci comporte dix-sept toiles de Bocion et un bel ensemble de tableaux de Marius Borgeaud, dont une admirable Auberge bretonne. Ce que l’Espagne fut pour Morerod, la Bretagne le fut pour Borgeaud!
«Edouard Morerod. Entre soleil et solitude», Musée des Beaux-Arts de Pully, mercr.-dim. 14-18 h., jusqu’au 30 juillet.