Musique: Nick Cave and the bad seeds – Skeleton Tree
Lionel Taboada, Limited Music | C’est la fin d’un magnifique après-midi de printemps, la route côtière irlandaise nous fait zigzaguer entre la terre, la mer et nos sentiments. On roule les fenêtres ouvertes, le soleil couchant réchauffe ma main qui caresse amoureusement la cuisse de la charmante jeune fille qui a eu l’audace de faire un bout de route avec moi. On est bien, amoureux, comme dit ce grand dadais de DiCaprio sur son rafiot en perdition, on est les maîtres du monde, pour un instant du moins. Les paysages défilent, on se dirige vers l’hôtel, on prendra sûrement un verre sur la terrasse au milieu des derniers rayons de soleil; pendant ce temps l’autoradio met à l’épreuve un « Tom Traubert’s blues » de Tom Waits juste majestueux. C’est le genre de route qui n’est pas noté sur les cartes. Soudain mon téléphone se met à vibrer, sans même réfléchir je décroche : « Allô,… » C’est sûr, la mort n’a pas le sens du timing !
Quand le fossoyeur de mélodies met des bémols devant les notes majeures de ta gamme, c’est toute ta vie qui baisse d’un ton. C’est cette fragilité qui s’échappe de ta platine quand tu lances le nouveau Nick Cave (il a perdu son fils peu avant l’enregistrement du disque). Jack Kerouac disait : « La seule vérité, c’est la musique», je crois qu’il a raison.
L’album s’ouvre sur la glaçante intro de « Jesus Alone » : ambiance ! Mon poil se dresse sur ses pieds quand la voix cendrée du crooner fait irruption dans mes enceintes, à la fois majestueuse, oppressante et tellement fragile ; ce morceau donne le « La ». Il ne chante pas, il parle, ou plutôt il prêche, des mots acides comme autant de déchirures puisées au crépuscule de sa propre existence. « With my voice, I am calling you » : pour tout refrain il te gratifie de deux phrases habitées qui hanteront le reste de l’album. L’orchestration du disque est minimaliste, comme s’il suffisait parfois d’un rien. Si musicalement les nuages se dissipent, un peu, sur « Rings of Saturn » ou « Girl in Amber », le lyrisme orageux domine avec des titres puissants comme « I Need You » ou le bouleversant « Distant Sky ». Il te prend l’âme en otage et exige pour seule rançon que résonnent dans les tréfonds de ta conscience ces quelques notes lourdes de sens. C’est sur un « Skeleton Tree » bien trop court qu’il prend congé de tes oreilles et te laisse face à tes propres démons complètement pantois. A coup sûr la pièce maîtresse de la discographie de l’Australien et de cette année 2016.
Le bonheur est aspiration, la tristesse inspiration ! Est-ce qu’on aurait eu droit à « What’s going on » de Marvin Gaye ou « Back to Black » d’Amy Winehouse s’ils avaient été joyeux comme Cyril Hanouna ? Le spleen gravé sur microsillon est depuis toujours un anxiolytique salvateur à nos états d’âme, surtout quand tu réalises que dans la playlist de ton existence le chant du cygne est en lecture aléatoire.
Quoi qu’il en soit n’écoute pas ce qu’on te raconte, écoute des disques !