L’histoire de nos villages
Claude Cantini | La rupture entre Lutry et Savigny s’est développée dans une situation politique caractérisée par un pouvoir limité aux vignerons du Bas, sans que ceux du Haut puissent participer minimement aux prises de décision pourtant d’intérêt général. Un autre facteur s’ajoute à ce manque de collégialité: l’isolement. La descente vers Lutry constitue la seule voie de sortie de la région étant donné que le Jorat ne connaît que des sentiers pédestres. Seul l’axe Savigny-Lutry aura vu quelques améliorations dans le courant du XVIIIe siècle. Le point de rupture est proche.
Un premier signe alarmant fut «la révolte des Monts» en 1776. En juin, un groupe de Savignolans bientôt rejoint par sept paysans de Forel détruisirent sept bornes qui empêchaient les droits d’usage dans les forêts et en rivière. Signe des temps, les coupables ne furent condamnés qu’à douze heures de prison «à faire le jour».
La goutte qui a fait, si l’on peut dire, déborder le vase, c’est l’absurde décision du boursier de Lutry de mettre «plusieurs familles pauvres de Savigny aux poursuites pour insolvabilité» lors des années de misère de 1816-17. Ce mépris des réalités sociales déclenchera une réaction qui aboutira aux pétitions de 1820-21 réclamant l’autonomie communale. A cette dernière s’opposèrent bien entendu les notables de Lutry, pas du tout enchantés à l’idée de perdre leur colonie. La polémique dérailla jusqu’à l’injure.
C’est le décret du Grand Conseil du 17 mai 1825 qui légalisa un partage commencé en 1823, qui a mis fin à la grande commune de Lutry, par trop oligarchique et passéiste.
Pour la nouvelle commune de Savigny tout était à construire. Le partage des biens communaux se fit sur la base de la population des deux parties en cause. Savigny ne reçut qu’un cinquième des forêts, les deux collèges et, en faveur de la Bourse des pauvres, le bâtiment de l’hôpital «de la Ville» (fermé depuis 1798, il sera vendu deux ans plus tard). Suivant les moyens à disposition, fut réalisée la construction de la Maison de Commune en 1825 qui intégrera une auberge en 1831 et, jusqu’en, 1840 une école.
La prise en charge scolaire des enfants de Savigny avait commencé en 1703, quand le pasteur Jean-Pierre Loys de Correvon obtint de LL.EE. de Berne la création de quatre régences (dont deux à Forel), soit pratiquement l’octroi d’une pension annuelle pour les maîtres (en partie en nature). Il s’agissait de classes qui avaient lieu chez les particuliers (plus ou moins dédommagés) du Village, au Martinet, parfois en Gremaudet et en Nialin. En 1799, afin de faire en sorte que les enfants pauvres cessent de négliger l’instruction pour aller mendier, les «pièces d’école», souvent situées dans des granges, seront remplacées par deux collèges, l’un au Village, l’autre au Martinet. Malgré son nom, le collège du Village n’est encore qu’une chambre délabrée où le régent enseigne le matin à 91 enfants…
En 1825, Savigny compte trois écoles : l’école du Jorat, à la Goille, dans un bâtiment de 1768 loué puis acheté et rénové au fil des années; l’école du Martinet (depuis 1819) et l’école du Village où l’on réalisera en 1840 l’actuel Vieux Collège. Lors de l’inspection de 1841, la commune compte en plus une école en Gremaudet, annexe de l’école du Village, qui n’a lieu que l’hiver. Elle est décrite ainsi: «L’école – pour 33 enfants – se tient dans une chambre habitée, ayant lit et garderobe. Le propriétaire se tient sur le fourneau et y fume sa pipe.» En Martinet, le bâtiment de 1819 a bénéficié de réparations pas encore terminées et considérées comme tardives; il sera reconstruit en 1890.
En 1975, alors que la commune fête ses 150 ans, les collèges du Jorat et en Martinet sont encore là mais en sursis, et le «Vieux Collège» du Village a été remplacé en 1958 par un autre qui à son tour est devenu une garderie.
L’isolement de Savigny prendra fin en deux étapes. D’abord en 1844, après de nombreuses insistances communales, par l’inauguration de la route Lausanne-Oron, la bien nommée, et puis par la création en 1902 de l’embranchement en Marin reliant Savigny à la ligne de tram du Jorat (qui sera démantelée en 1963). Il est plus que probable que cette ouverture ait facilité un certain essor économique non agricole mais néanmoins entrepris par des agriculteurs.
Auparavant, l’économie locale se basait sur les «fruitières» (fromageries devenues simples laiteries): celles de Mollie-Margot en 1884, de la Claie-aux-Moines en 1891 et du Village en 1916. Ces fruitières resteront en activité jusqu’au début du XXe siècle avant que le lait ne descende directement tel quel à Lausanne. En outre, il y eut quelques artisans comme les tonneliers, cordonniers, forgerons, selliers, tisserands, couturières, tailleurs et menuisiers. En 1822 seront primés des fabricant(e)s de chapeaux de paille, de sabots de bois, de paniers, de râteaux et de manches. Les commerces se limitaient aux pintes de la Claie-aux-Moines (en 1750) et du Village (en 1804). L’auberge de la Claie-aux-Moines date de 1805 environ et le «Logis du Village» (aujourd’hui l’Auberge communale) de 1831.
Sur un plan plus industriel, signalons, à Mollie-Margot, l’entreprise Delessert de drains et tuiles active de 1810 à 1912; les carrières de molasse en Nialin dès 1865 et de grès aux Miguettes dès 1885; et l’ouverture en 1974 d’une importante gravière à la Claie-aux-Moines.
Pour conclure, une demande de concession pour l’extraction de «charbon de terre» à Saint-Amour est mentionnée en 1884 mais l’on ignore son issue.