L’histoire de nos villages
Notre nouvelle série vous propose un voyage dans le temps à travers les villages, paroisses et communes
qui ont formé ce district tel qu’il est à l’heure actuelle. Un rappel de ce qui a été et qui, peut-être, est encore…
Les illustrations sont le fruit des recherches de l’Association du Vieux Lavaux que nous remercions.
Claude Cantini | Puisque l’historien Justin Favrod insiste, à juste titre, sur le fait que c’est la structure du territoire vaudois en paroisses qui est à l’origine des communes, commençons par le commencement.
La première mention connue de «Savinie» date de 1228, elle se réfère déjà à une paroisse. Une chapelle est connue dès 1346: devenue église, elle sera victime d’un incendie en 1538 et sa reconstruction aboutira en 1613. Un couvent de moines franciscains est fondé vers 1494 et c’est eux qui exploiteront une propriété rurale à la Claie-aux-Moines, ainsi qu’une «grange» (sous la forme d’un contrat de métayage) à Mollie-Margot, devenue propriété de Lutry en 1537. En 1536, le couvent ne comptait plus que deux moines; cinq ans auparavant, il avait fait donation de quelques biens à l’hôpital «de la Ville» de Lutry. Par la suite et jusqu’en 1593, un pasteur-diacre s’occupera de la paroisse en montant depuis Lutry. Une première cure est installée, en 1601, dans une grange transformée qui sera, elle aussi, détruite par le feu en 1613. L’actuelle (désaffectée) a été reconstruite à l’emplacement du couvent franciscain.
Il est possible que parmi les donations faites en 997 par le roi de Bourgogne Rodolphe III à son chancelier, dénommé Anselme, il y ait eu aussi des terrains situés à Savigny qui seront donnés quelques années plus tard au monastère Saint-Martin de Savigny-en-Lyonnais. C’est surtout à partir du XIIe siècle que les moines de Lutry entreprennent le déboisement d’une partie des forêts, transformées ainsi en pâturages donnés en fermage à des habitants du bas, devenus ainsi colons. Une installation permanente de ces derniers est attestée en 1228, date à laquelle on mentionne pour la première fois les paroissiens de Savigny. C’est à partir de l’an mille que commencent les opérations d’abergement (location de longue durée et transmissible) avant qu’un certain nombre de ces colons ne deviennent propriétaires. Il s’agit de vignerons qui ont choisi les pâturages du Haut (qui deviendront des champs par la suite) et qui donneront souvent leurs patronymes à leurs domaines (sur une bonne vingtaine de domaines le fermage se maintiendra néanmoins, les propriétaires n’étant pas toujours les exploitants).
Le va-et-vient entre viticulture et agriculture cessera pratiquement au courant du XVIIIe siècle, au gré des héritages et des partages entre les deux activités. Le passage des granges aux fermes s’échelonne de 1709 à 1800 environ, à une époque où désormais les forêts ne couvrent plus que 900 poses (1 pose équivaut à 4300 m²) du territoire communal (environ 450 hectares). En 1915, les forêts ne couvriront plus que 440 hectares, les prés 407 et les champs 727 hectares.
Lors de la «Taille» (registre des imposables) de 1550, les Monts-de-Lutry sont habités par 40 «feux» (familles) pour un total de 179 habitants. L’ensemble des familles ne forme – pour reprendre la définition de Louis-Daniel Perret dans « Lutry sous le régime bernois» – qu’«une population anonyme, réduite au silence et à la soumission ». Une carte baillivale de 1678 signale
13 propriétaires de domaines agricoles, et parmi les titulaires des «possessions» mentionnées dans le «Plan du territoire de Lutry» de 1705, ceux qui possédaient un domaine de dix poses et plus sont encore une minorité.
Dans son «Mémoire adressé au Gouvernement de Berne» de 1764, le pasteur Jérôme-Nicolas Jaccaud parle de 120 feux pour un total de 507 habitants; lors du recensement de 1798 leur nombre montera à 168 pour 785 habitants.
Sur le plan professionnel, les adultes n’ont pas tellement de choix puisque les «laboureurs» sont au nombre de 141. Vingt-deux habitants sont sans profession (des pensionnaires, enfants en nourrice ou plus âgés placés par l’Etat). Particularité de Savigny, ils seront 28 en 1899 et 11 en 1906. Signalons aussi que le nombre de domestiques dans les fermes de Savigny se limite à 12; les membres de la famille sont donc suffisants d’autant plus que les moyens manquent pour payer des bras supplémentaires.
Le recensement de 1798 mentionne en outre un pasteur (Jean-Pierre Monnier), deux régents (Jean-Noé Cordey et
Jean Dony) et un panetier (Joseph Capt). L’existence d’un cordonnier et d’un tonnelier est probable.
C’est l’«Enquête sur le paupérisme», lancée par LL.EE. de Berne en 1764, qui obligera le pasteur Jaccaud, en poste à Savigny depuis 1751, à écrire son important rapport en réponse aux questions posées. Il s’y exprimera ainsi:
«Ce n’est proprement ni la volonté, ni le goût du travail, mais l’industrie et les progressions qui leur manquent pour s’occuper dans les saisons mortes… Il faudrait leur apprendre à mieux cultiver leurs terres, car depuis l’invention de la première charrue, ils n’ont jamais changé de méthode, ou plutôt de routine. Deux légers labourages, point de précautions pour les semences, jamais sarcler: c’est le non plus ultra. Aussi, malgré la bonté du terroir, ne font que de chétives moissons, d’autant moindres que fermant mal leurs possessions, ne gardant pas mieux leur bétail, la plupart de leurs blés sont mangés en herbe. Ainsi, au lieu d’en pouvoir vendre beaucoup, force leur est de dévaster les bois pour se nourrir… Il faudrait aussi défendre l’exportation de fumier pour la vigne hors de la paroisse, dont il en sort deux mille chars par an.»
Précisons que seulement le vingtième des terres (forêts exclues) est cultivé et que les pauvres de Savigny représentent le 25% de la commune de Lutry.
À suivre…