Les soins à domicile en crise ?
Apparemment, la colère gronde dans le domaine des soins à domicile, plus précisément à l’AVASAD (Association vaudoise d’aide et de soins à domicile) qui gère tous les CMS du canton de Vaud
Monique Misiego | Bien que la direction assure que les clients sont satisfaits des prestations fournies, il n’en est pas de même du côté des employés qui dénoncent des conditions de travail déplorables. Il faut savoir que l’AVASAD est une structure créée en 2010, qui est financée à 64% par les collectivités publiques, soit un montant de 237 millions de francs versés en 2017. Selon certains cadres qui se sont exprimés anonymement, on a détruit une machine qui fonctionnait bien avant la mise sur pied de cette structure. Avant les gens se parlaient, il y avait des colloques, on s’organisait, on se répartissait les tâches. Dans cette structure, on recherche la standardisation à tout prix, tout doit être cadré avec pour support des outils informatiques contreproductifs. Quand on sort de la norme, c’est la catastrophe. Tout est formulé en chiffres, sans tenir compte de la vraie vie. Rien que pour l’Est vaudois, dont sont issus les cadres qui se sont exprimés (qui ont démissionné depuis), on parle d’un taux d’absentéisme de 13%. Tous parlent d’une déshumanisation de leur métier.
Connaissent-ils la réalité du terrain ?
Il y a une incohérence entre les bureaucrates, chefs de projet et autres qui mettent en place des mesures qui ne sont pas adaptées au terrain. Les infirmières qui doivent ensuite assumer les soins au domicile des patients n’ont pas eu leur mot à dire et se retrouvent souvent dans des situations théoriques qui ne correspondent pas du tout à la réalité. Les planificatrices ne connaissent pas les tournées, ni les patients, ni les difficultés qui leur sont propres. Face au mécontentement des gens de terrain, ces planificatrices se succèdent à un taux soutenu, il y a un taux de turn-over plus élevé dans cette profession que la moyenne.
Tout ne roule pas, bien au contraire
Qu’en est-il du côté des auxiliaires de soins et des aides au ménage? Là encore, tout ne roule pas, bien au contraire. Le personnel de terrain, qui bénéficie déjà de conditions de travail précaires, pas bien payées, avec des taux d’activité très variables, est mis sous pression, doit atteindre des objectifs, sans aucune considération pour le travail réel auprès des patients. Sans parler du petit café pris autrefois avec une grand-maman qui ne voit que les soins à domicile de toute la semaine et qui pourrait faire croire que leur travail est relativement relax. Une visite sur les chapeaux de roue ne permettra pas de prendre en compte l’état psychique et moral du patient. Il est peut-être aisé de se rendre compte quand quelqu’un devient désorienté, mais il est peut-être moins aisé de constater un état dépressif chez une personne d’une génération où on a appris à ne pas se plaindre. Et comme le moral et la santé vont souvent de pair, on risque de laisser passer certains symptômes qui auraient facilement été détectés dans l’ancien système.
A la fin c’est toujours le patient qui paie
Elles sont soumises de plus en plus à du travail administratif sur une tablette ou un smartphone, ce qui d’un autre côté allège le personnel administratif et permet de réduire le nombre de postes. On économise de tous les côtés mais à la fin c’est toujours le patient qui paie. C’est aussi un moyen de surveillance des employés redoutable qui les met sous pression permanente. Dans une enquête faite par l’AVASAD auprès de ses employés, 70% d’entre eux sont insatisfaits des mesures prises pour le bien-être au travail et 63% se disent stressés, principalement par la quantité des tâches à effectuer, tant administratives qu’auprès des patients. Certains groupes d’employés se révoltent et prennent la plume pour tenter d’obtenir une écoute du côté du conseiller d’état en charge de la santé, Pierre-Yves Maillard. D’autres s’adressent aux syndicats. Du côté de la ville de Lausanne, par exemple, un élu d’Ensemble à Gauche au Conseil communal, Johan Pain, qui soutient cette profession depuis fort longtemps et qui a bien cerné leurs revendications, a lancé une interpellation auprès de la Municipalité, qui a débouché sur une résolution qui poussera le municipal en charge de ce domaine à se positionner pour que des mesures organisationnelles soient prises afin de rétablir des conditions de travail respectables pour tout le personnel, ce qui par ricochet assurera de meilleures prestations aux patients. Encore une fois, il semblerait, toujours d’après la direction de l’AVASAD, que les patients soient satisfaits, mais est-ce vraiment le cas? Qui a mené cette enquête? Est-ce que les patients se sont sentis libres de parler?
Un meilleur climat de travail
De son côté, cette même direction a pris acte des revendications, et a mis sur pied un forum au mois de novembre dans le but de nommer les améliorations à apporter. Y étaient conviés les employés et les syndicats. Pas moins de 700 propositions ont été faites pour assurer un meilleur climat de travail et de meilleures prestations aux patients. Il faut espérer que ceci se fasse dans des délais raisonnables pour que tout rentre dans l’ordre. Parce que pendant que les CMS sont près de l’asphyxie selon les syndicats, de sveltes OSAD (organisations de soins à domicile) se profilent comme une alternative à la lourdeur et à la désorganisation des CMS. Mais ces organisations privées n’ont pas les mêmes obligations que les CMS. Ni les mêmes contraintes. Et leur but est clairement de faire de l’argent. Et ça, ce serait presque de la concurrence déloyale, toujours selon le syndicat. Le dialogue a l’air d’être amorcé, espérons qu’il se poursuive dans le respect de chacun, avec pour priorités le personnel et les patients qui sont indissociables. Ma grand-mère, née en 1898, me disait : « tous ces ordinateurs, ça va déshumaniser le monde ». Le monde du travail, ça c’est certain !