Le soir du Matin
Alors que Le Matin papier fait ses derniers tours en rotative, c’est un rite matinal qui disparaît et un changement d’habitude qui s’opère, en plus d’une perte dans le paysage varié de la presse romande.
Pour ceux qui pensent comme leurs éditeurs qu’il ne s’agit « que » d’un passage au numérique, il faut rappeler que le journal emploie plus de 45 personnes. Pour couvrir tous les angles voulus par la rédaction et appréciés par ses lecteurs, il n’en faut pas moins, au contraire. Or, à partir de lundi prochain, la version numérique ne comptera qu’environ 15 intervenants. Il est permis de penser que le numérique nécessite moins de personnel pour traiter et transmettre des informations, mais quelles informations ? Ce n’est pas spécialement la mise en ligne ou la préparation de la maquette papier qui occupent des postes, mais bien plus la réflexion et la chasse au contenu. Le contenant a certes son importance, mais ce qui est regrettable ici est la perte de l’information elle-même et d’une grande partie de la couverture de la région. Sous couvert de modernité, nous sommes tout simplement témoins d’une mise à pied des deux tiers d’une rédaction, et par voie de conséquence de deux tiers de son contenu, de son esprit et de sa ligne éditoriale. A ce niveau, il n’est plus question du journal Le Matin. L’honnêteté intellectuelle impliquerait de changer de nom et, donc, d’annoncer la cessation de parution pure et simple du Matin. Annoncer la mort d’un de ses titres les plus lus semble trop radical pour Tamédia qui préfère y aller à tatillon. Mais c’est bien d’une mort par étouffement dont il s’agit. En amputant tous ses titres de la manne financière nécessaire que représentent les annonces publicitaires en les confiant à internet, tout en imposant au journal papier une rentabilité intenable, le groupe Tamédia sait parfaitement ce qu’il fait. Une politique du désossement à la Tapie qui ne leur donne en aucun cas le droit de porter le titre d’« éditeur ». Tout au plus sont-ils des hommes d’affaires, voire des hommes de main. Avec un bénéfice insolent – issu de leurs sites d’annonces principalement – l’« éditeur » Tamédia continue à couper dans ses médias… un peu comme La Poste supprime ses offices villageois. Leurs dirigeants semblent avoir été à la même école, celle de l’arrogance.