Le pont de la compréhension
Gérard Bourquenoud | Il est une lumière en chacun de nous, mais tandis que les uns parviennent sans effort à la refléter au-dehors, d’autres, au contraire, ont besoin d’un stimulant, d’un renouvellement, d’une étincelle.
N’est pas jovial et optimiste qui veut, loin de là. Et tel que l’on déclare grincheux et insupportable est simplement un faible, un sensitif que tout atteint à ses sources vives, un être dont le ressort nerveux détendu a besoin quotidiennement du tour de vis de la bonté active, indulgente et généreuse, faute de quoi le malheureux s’enlise davantage dans sa susceptibilité et ajoute chaque jour une pierre à l’édifice de griefs que lui élèvent les autres. Les mauvais plis, les fausses notes et les malentendus s’établissent, et à la muraille qui le sépare d’eux, s’ajoute peu à peu l’indifférence ensevelissant dans ses plis cruels cet être qu’un peu de compréhension affectueuse aurait rendu aux siens et à lui-même.
Certes, la vie actuelle, avec son «chacun pour soi» brutal, ne nous laisse pas toujours le loisir d’aller au-devant d’un faible et de relever les mailles de son armure en même temps que nous réparons la nôtre; mais si la mauvaise humeur est contagieuse, la bonne l’est aussi, et étant donné qu’une parole mordante prend autant de temps qu’un mot conciliant, n’est-il pas plus agréable de surveiller notre vocabulaire, et de répondre par la bonté aux provocations qui mettent notre patience à l’épreuve?
Par défaut de contrôle sur nos nerfs, parce que nous sommes peut-être trop égoïstes pour faire l’effort qui nous aiderait à triompher des faits et des circonstances dans lesquels nous nous trouvons trop souvent, nous avons un esprit toujours trop critique à l’égard du prochain, de notre entourage, de notre personnel, de nos amis ! La bienveillance avec chacun n’est-elle pas l’œuvre qui pourrait contribuer au réconfort de bien des personnes âgées et handicapées, sans oublier que dans notre société moderne, dite pourtant évoluée, trop de jeunes vivent dans la solitude ou sont mal compris. Ce n’est pas un fossé qu’il faut continuer à creuser, mais apporter notre aide à construire un pont entre sa personnalité intérieure, immuablement belle peut-être, et sa personnalité extérieure qui le perd!
«La tête qu’on nous fait dépend de celle que nous montrons aux autres», dit un vieux proverbe. Il n’est pas un rebuté, pas un forçat de la vie qu’une bonne parole, un procédé bienveillant ne finira par illuminer son âme. N’est-ce pas une question de conscience que d’éveiller le malheureux qui souffre de culpabilité – moins condamné souvent par les autres que par lui-même – et découvrir l’auxiliaire sûr par lequel on pourra toujours atteindre cette lumière lointaine qui fait la richesse intérieure de l’être humain.