Le périple des Pasche
Céline Pasche | épisode 3 : Comment allons-nous faire avec un bébé ?
De la puissante sensation d’élévation face au toit du monde, nous descendons dans le vortex humain de Katmandou et plongeons simultanément dans l’agitation de notre esprit. La profonde joie d’accueillir un enfant est troublée par des peurs. À chaque fois que nous apercevons des bébés, nous nous questionnons, sur notre transformation en tant que parents, sur notre vie de nomades à trois.
Comment peux-tu rouler enceinte? demande une femme sur le long de la route.
Nous n’avons aucune inquiétude concernant la grossesse. Je fais entièrement confiance à mon corps. Chaque fois que je roule, le fœtus se met dans une position où je parais à peine enceinte. Pourtant lors de nos jours de repos, mon ventre double. Le plus difficile n’est pas de rouler, mais l’intensité des pays que nous traversons. La population au Bangladesh illustre une densité humaine inégalée, à l’image d’une fourmilière. Toute la journée, nous sommes escortés, accostés, entourés, regardés. Notre espace vital est totalement anéanti. Nous sommes alors en apnée dans un monde où les émotions nous submergent.
À la recherche d’un lieu où nous pouvons offrir une naissance naturelle à notre enfant en toute sécurité, tout nous guide vers la Malaisie. Une voix intérieure nous murmurait qu’un retour en Suisse rendrait trop difficile le départ, nous choisissons alors l’île de Penang. Lorsque nous y arrivons, je suis enceinte de sept mois et voyage encore à vélo.
2,6 kg d’Amour
Notre fille Nayla est née. Donner naissance et devenir parent est un chemin en soi. Nous avons dû apprendre à danser avec nos forces et nos peurs.
Vous êtes fous ! s’exclame notre voisin chinois à Penang. Comment allez-vous voyager à vélo avec un bébé de 5 mois ?
Nous n’en savons rien. Et déjà nous sentons les incertitudes nous nouer l’estomac. La seule chose que nous savons c’est que nous voulons essayer. Cette vie de nomades nous nourrit et nous imaginons qu’une enfance au cœur des cultures et bercée par la symphonie de la nature peut être fantastique.
Reprendre la route à trois, c’est à nouveau s’élancer dans l’inconnu pour découvrir les joyaux le long du chemin. Nayla a cinq mois: il nous faut pourtant plus que du courage, d’abord nous détacher du petit cocon que nous avons créé pour accueillir notre enfant. Puis faire confiance en la vie et s’abandonner au chemin. Les deux premières semaines sont teintées des peurs de tous les problèmes qui peuvent survenir, des inquiétudes lorsque Nayla pleure, des remises en question, des doutes pour le futur. Puis la joie de la découverte prend le dessus.
Nayla a 40°C de fiève
Qu’est-ce que nous avons fait ? Nayla a une fièvre élevée. Il est 2h du matin, nous sommes sous tente au milieu de l’est de la Thaïlande. Est-ce la dengue ? la malaria ?
Cette nuit-là, nous ne dormons pas. Nous sommes trop angoissés. Le lendemain matin, la fièvre tombe à 38° C. Soulagés, nous pédalons jusqu’au premier temple bouddhiste et c’est là que nous découvrons sa première dent. La réalité est que notre fille possède un fort système immunitaire et à part quelques épisodes de fièvre, elle a toujours été en pleine forme. Exclusivement nourrie au lait maternel jusqu’à ses six mois, je l’allaite le long du chemin. Ce n’est pas toujours facile de trouver des lieux hors de la foule, pourtant il est nécessaire de créer un espace d’intimité permettant d’honorer ce précieux moment. Lorsque Nayla commence à manger des ingrédients solides, nous préparons des purées de légumes grâce à une petite marmite à vapeur.
Avec un bébé, nous avons dû apprendre à voyager à un autre rythme, trouver un équilibre entre ses siestes, l’allaitement, son besoin de bouger, et à la fois les nécessités que la route impose, les changements météorologiques et l’exigence de trouver un endroit pour dormir. Pas à pas, nous avons trouvé un nouvel équilibre. Pas à pas, la vie nous a emmenés à camper au bord du chemin, en complète autonomie.
Pour nous le plus important est de suivre le rythme de Nayla. Nous roulons environ 60 km par jour, entrecoupés de pauses. La plupart du temps, Nayla dort; parfois elle regarde un livre, couchée dans le hamac de sa remorque. Toutes les une à deux heures, nous nous arrêtons pour deux heures, durant lesquelles elle peut coordonner ses gestes, apprendre de nouveaux mouvements et découvrir le monde. Il nous faut alors trouver l’énergie pour être pleinement avec elle. Parfois, c’est épuisant. Mais souvent, nous sommes émerveillés de pouvoir découvrir le monde à trois et être présents à chaque étape de son développement. Nous nous rendons aussi compte que la communication que nous avons développée en couple nous aide quotidiennement à poursuivre notre route.
A suivre…