Le crapauduc, une solution au conflit batraciens contre routes
Gil. Colliard | Ce mardi 23 février, aux environs de 20h, j’accompagnais Alain et Aude Maibach jusqu’à La Rogivue (commune de Maracon) dans leur mission saisonnière de faire traverser la route aux batraciens qui transhument vers leur lieu de frai.
Alors que la météo des jours précédents avait été exceptionnellement printanière, déclenchant une frénésie amoureuse chez les grenouilles et autres tritons, ce furent la neige et un courant glacial qui nous accompagnèrent. Munis de gilets de sécurité, lampes frontales et bidons, nous avons rejoint le bas-côté de la route où une barrière verte en textile avait été tendue sur 450 m. Haute d’environ 50 cm et disposée de façon à obliger les batraciens à la longer, elle est équipée de 26 bidons enfoncés au ras du sol, répartis sur la distance, servant de réceptacles, au fond desquels les animaux attendent agglutinés qu’on les libère. Chaque récipient participe à une statistique détaillant le nombre et les espèces trouvées à chaque relevé, afin de connaître avec exactitude quels sont les passages les plus empruntés, donc les plus intéressants en vue de la pose dans le futur d’une installation fixe sous la route. Or ce soir-là, il fallut, en plus, débarrasser la barrière chargée de neige lourde et la retendre à plusieurs endroits. La récolte exécutée par les mains expertes permit de comptabiliser 77 grenouilles rousses qui firent en voiture et en toute sécurité le trajet jusqu’à leur endroit de reproduction où elles furent relâchées sur un lit de feuilles mortes.
Depuis 16 ans, annuellement, environ 8000 batraciens sont transbordés sous surveillance
Depuis l’an 2000, matins et soirs, durant 6 semaines chaque année, Alain Maibach, du Bureau d’études et environnement A. Maibach Sàrl, à Oron-la-Ville, sur mandat de la DGE BIODIV du canton de Vaud, souvent secondé par sa famille et d’autres volontaires, parmi lesquels Patricia Zeller, municipale à Maracon, vont effectuer ce transbordement de grenouilles rousses et vertes, tritons alpestres ou lobés principalement. Parfois la récolte est gargantuesque avec plus de 2000 individus et parfois seule une petite grenouille est au rendez-vous. Tout est en relation avec la température qui idéalement doit se situer au-dessus de 4 à 5° avec de l’humidité.
Un instinct qui s’avère meurtrier
La tourbière de La Rogivue, comme celles que l’on retrouve dans le même prolongement, est issue de la disparition du glacier du Rhône. Ce dernier en se retirant a laissé un dépôt d’argile dans les replis du terrain, colmatant le fond et le rendant étanche. Bénéficiant d’un microclimat froid, toute une vie et une végétation particulières, que l’on peut qualifier de reliques glaciaires, s’y sont développées. On y observe une libellule rare, que l’on retrouve dans le grand Nord par exemple. Sur ce site, la tourbe a été exploitée dès 1850 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, comme combustible et pour l’agriculture. Elle faisait l’objet de mises annuelles sous forme de casiers délimités. Depuis la nuit des temps, les batraciens qui vivent sur le côté amont de la tourbière migrent, en fin d’hiver, pour frayer et pondre le long de berges humides. Leur instinct les y pousse, malgré la cicatrice routière et meurtrière qui traverse leur chemin.
Le crapauduc de la tourbière de La Rogivue
Site d’importance fédérale, propriété de Pro Natura, la tourbière de La Rogivue s’est vue dotée, sur la partie haute, d’un crapauduc. Après 12 ans de transbordements manuels et d’observations, l’installation de passages sous la route est devenue effective en 2014. En relation avec la réfection de la chaussée, 4 tubes en polyester, agrémentés de déflecteurs en bois, ont été aménagés sous la chaussée, ainsi que 320 m de caniveau de 65 cm de haut de chaque côté, obligeant les batraciens à emprunter ces passages. Bien que le coût de ces installations fixes soit élevé, selon les cas entre Fr. 600.– et Fr. 1200.– le ml (subventionné à La Rogivue à hauteur de 100% par le Canton et la Confédération), les résultats sont plus qu’encourageants, puisqu’ils montrent une tendance à la hausse des peuplements de batraciens. «A la route du Jordil, nous observons notre deuxième flux migratoire au travers de ces installations», se réjouit Alain Maibach qui, avec son équipe, fait régulièrement des comptages grâce aux trappes aménagées à cet effet.