Le chant de l’étrave
Christiane Bonder | Episode 12
La baie de Hann (suite)
Grâce à l’acompte reçu des bonnes sœurs, il nous rapporte de quoi festoyer. L’eau à la bouche, nous admirons cette table garnie de pâté, de fromages et de mangues… Merci ! Seigneur… C’est ensuite en faisant du stop qu’il reçoit la promesse d’un engagement par un Libanais qui débute dans la vente de matériel destiné à la marine et aux armateurs qui pêchent dans les parages. A mon tour, j’apprends que Le Marinas cherche une secrétaire à mi-temps. Le Marinas est un petit port de gardiennage dans lequel les Blancs travaillant à Dakar amarrent leur voilier. Cet endroit est situé au début de la baie et je l’atteins, marchant pieds nus sur la plage, en une demi-heure. Le paysage est d’une beauté fascinante, le personnel exclusivement noir est d’une gentillesse admirable. Un restaurant et un atelier mécanique l’animent, des cases y sont à louer. Mon rôle est de superviser le travail de chacun, tout en m’occupant de la préparation des salaires, de la facturation des places d’amarrage, des recettes du bar et de l’approvisionnement. Je contrôle encore qu’Aïssatou, la lingère, nettoie bien les cases et change les draps chaque matin.
Le patron du Marinas, un Français énergique dans la cinquantaine, partage son temps entre Ziguinchor et Hann puisqu’il s’occupe aussi du Club Méditerranée situé en Casamance.
Les indigènes n’apprécient guère ce toubab qui les traite comme du bétail et qui hurle de rage lorsqu’il les trouve agenouillés à l’heure de la prière. Ces Blancs qui affichent leur soi-disant supériorité ne sont pas nos amis non plus. Les Noirs ont gardé un instinct que nous avons perdu et savent très vite à qui ils ont à faire. Simple et à l’écoute de l’autre, notre petite famille sera toujours bien accueillie.
Notre séjour à Hann nous permet de survivre sans pour autant pouvoir envisager la traversée de l’Atlantique. Mon
travail au Marinas prend fin lorsque le patron engage uneindigène qualifiée qu’il rétribue au rabais. Quant au Libanais qui emploie Erik, son affaire se révèle parsemée de hoquets
et de vides financiers. Il devait fournir un véhicule qui s’est perdu dans les méandres des arrivages et fait de la réclame pour des produits qui ne sont pas encore d’actualité. Souvent, une partie de la marchandise est déjà volée sur les quais de la douane… La magouille règne ici en maître, même au sein de la police qui se graisse la patte sous de faux prétextes, arrondissant ainsi ses fins de mois. Erik travaillera encore pour un sérigraphe et recoudra des voiles pour un club nautique. Pour ma part, je vendrai des abat-jour et des vêtements peints à la main dans une boutique de Dakar créée par un couple de Parisiens. Yves prépare des programmes pour des entreprises qui se mettent peu à peu aux nouvelles technologies tandis que Chacha tient un atelier de couture qui emploie une dizaine de femmes sénégalaises.
Retour en Suisse (Sénégal, Mali, Haute-Volta en train, à pied et en taxi-brousse)
Un courrier par lequel ma mère émet le souhait de notre présence à son second mariage nous incite à revenir en Suisse. Nous assisterons ainsi à la cérémonie et, profitant de ce retour, Erik travaillera quelques mois pour renflouer la caisse de bord.
Jean, un ami résidant à Hann, nous avance l’argent du voyage, étant convenu que nous lui rapporterons du matériel introuvable à Dakar. Nous apprenons que l’agence «Le Point» organise des voyages au départ de Ouagadougou en Haute-Volta (actuellement Burkina Faso). Moins onéreux et plus intéressant que l’option Dakar-Paris, nous choisissons cet itinéraire. Nous traverserons presque 3000 km de pistes et de brousse dont deux tronçons en train par le Sénégal, le Mali et la Haute-Volta. Ayant passé son enfance à Ouagadougou, Jean nous donne de précieux conseils: boire suffisamment tout en prenant garde à l’eau parfois souillée vendue aux arrêts, se protéger du soleil torride, se méfier des voleurs en bandes organisées qui stoppent le train, ne pas s’endormir ni laisser ses bagages sans surveillance… Il nous remet encore l’adresse des sœurs catholiques chez lesquelles nous pourrons dormir la nuit de notre arrivée à Bamako.