La petite histoire des mots
Eboueur
Georges Pop | L’annonce, la semaine dernière, n’a certes pas fait les grands titres de la presse écrite ou audio-visuelle. Elle n’en a pas moins défrayé la chronique : la ville de Zurich a embauché comme éboueur (sic) Hugo Portmann, le plus célèbre braqueur de banque en série de Suisse, âgé de 58 ans. L’homme a passé en tout 35 ans derrière les barreaux. Le directeur des travaux publics et de la voirie de la ville, Filippo Leutenegger, a expliqué à la presse que chacun avait droit à une chance de réinsertion à sa sortie de prison. Le terme éboueur a fait son apparition dans le Larousse, dans la seconde moitié du 19e siècle pour désigner à Paris un employé ou un agent de la voirie. Eboueur veut littéralement dire : celui qui enlève la boue. Pendant les siècles précédents et jusqu’au début du 20e siècle, les éboueurs étaient d’ailleurs aussi appelés boueurs et même boueux. Ils étaient non seulement chargés du ramassage des ordures mais aussi de la boue sur les chemins peu pavés des villes de jadis et aussi de l’entretien des égouts. Une besogne assez peu ragoutante, exécutée de nos jours par de méritants égoutiers équipés de pied en cap pour échapper aux miasmes et à la putridité. Selon les étymologistes, le mot boue nous viendrait quant à lui de baua, un vieux terme celte assigné à la crasse et à la saleté. Cette très ancienne racine est d’ailleurs aussi à l’origine du mot bouse qui désigne l’excrément des ruminants dans lequel les randonneurs de nos campagnes et alpages enfoncent parfois par étourderie leurs souliers de marche, ainsi que beuse, sa variante helvétique. Pour en revenir à Paris, il est cocasse de mentionner que, dans l’Antiquité, l’actuelle capitale de la France traînait une vilaine réputation de bourg boueux, humide et insalubre. A l’époque, la cité s’appelait en latin Lutetia (francisé en Lutèce) ce qui veut littéralement dire ville des marais ou même ville de la boue. Ce nom est attesté par Jules César dans La Guerre des Gaules. Le Général romain fut le premier à évoquer l’existence de la modeste localité sur un site particulièrement humide, en proie aux crues capricieuses de la Seine. Il fallut attendre la fin du 5e siècle pour qu’apparaisse le nom Paris, dérivé de celui de la tribu gauloise qui occupait les lieux : les Parisii. Ceci encore : en novembre 1883 et en mars 1884, par voie d’arrêtés, le préfet de la Seine obligea les propriétaires d’immeubles parisiens à mettre à la disposition de leurs locataires des récipients munis d’un couvercle pour recevoir les ordures ménagères. Les arrêtés prévoyaient leur contenance – de 40 à 120 litres – et leur nombre par immeuble, à savoir trois : un pour les détritus putrescibles, un pour le papier et les vieux tissus et un dernier pour le verre. Ce très méritant pionnier du tri des ordures s’appelait… Eugène-René Poubelle. Il est entré dans la postérité, sans doute à son corps défendant, en donnant son nom à nos boîtes à ordure. Le mot poubelle est entré dans le Larousse en 1926. Mort en 1907, le brave Eugène-René fut mis devant le fait accompli et n’eut guère le loisir de protester. Son buste orne aujourd’hui la cour du musée des beaux-arts de Carcassonne.