“La nuit des charbonniers” documentaire de Robert Muller
En présence des charbonniers Henri et Yvan Geissbühler
De bois et d’ardeur
Colette Ramsauer | Dans l’Entlebuch, au lieu dit de Bramboden, subsistent les derniers charbonniers d’Europe. Le réalisateur lucernois Robert Muller les a rencontrés. Il nous offre un documentaire qui ne manque d’intérêt ni dans le fond ni dans la forme. Diurnes ou nocturnes, des images magiques de son film lui ont valu le Prix du cinéma suisse 2018 de la meilleure photographie.
Au patrimoine de l’Unesco
En Europe de l’ouest, le métier de charbonnier à titre professionnel n’existe plus qu’à cet endroit en Suisse dans le canton de Lucerne. La pratique artisanale des charbonniers de la forêt de Bramboden est inscrite au patrimoine immatérielle de l’Unesco. Décidées à ne pas laisser s’éteindre la flamme, neuf familles de cette région construisent annuellement des charbonnières en meule.
Trois générations s’expriment
Le cinéaste Robert Muller donne la parole à trois générations de charbonniers soucieux de transmettre leur savoir faire. Il montre la difficulté du métier mais aussi ses moments de bonheur lorsqu’un d’entre eux raconte sa rencontre avec un cerf en pleine nuit. Beaucoup quittent. Ceux qui décident de s’y mettre, le font avec ardeur et conviction. Comme Lukas Thalmann, en âge de scolarité, qui y consacre quasiment tout son temps de vacances, ou Doris Wicki, coiffeuse de profession, qui a remplacé ses frères afin que survive la tradition familiale. Elle est la seule femme charbonnière en Europe. Un tournant pour ce métier ancestral et essentiellement masculin. Les habitants de Bramboden en sont fiers.
Le processus filmé de A à Z
En préambule, la caméra de Robert Muller filme l’abattage des arbres dans une forêt très pentue. Puis elle suit tout le processus de la fabrication du charbon de bois, qui dure près d’un mois en été: l’immense travail de la mise en place de la meule (3m x 8m), le moment délicat de l’allumage, l’attention constante portée jour et nuit à une lente combustion. La mise en sacs du charbon, son chargement sur un camion d’Otto’s, distributeur avec qui il faut négocier le meilleur prix de vente. La qualité du combustible dépend des bois utilisés et du bon déroulement de la combustion lié aux facteurs météorologiques. «Pour certains paysans, cette tâche rapporte jusqu’à un quart de leur revenu annuel. C’est une manière de s’en sortir si cela s’accouple à l’agrotourisme» dit un protagoniste. Doris et d’autres accueillent des visiteurs, touristes ou charbonniers occasionnels qui viennent de Suisse ou des pays
voisins.
A la foire d’Oron
En 2015, au 12e comptoir régional d’Oron, le public avait eu l’occasion de voir des charbonniers à l’œuvre. Les organisateurs avaient érigé une charbonnière grandeur nature à l’extérieur, non loin de l’ensemble des stands. Sous haute surveillance, elle fut active tout le temps de la manifestation. Dirigée par le comité du comptoir, dont notamment Eric Sonnay garde-forestier, la démarche fut possible grâce à la collaboration de Henri Geissbühler. Cet habitant de Constantine (district Broye-Vully) garde-forestier retraité, est resté passionné par son métier. Henri Geissbühler et Yvan, son fils qui reprend le flambeau, seront présents au cinéma d’Oron le vendredi 23 novembre. Ils répondront aux questions des spectateurs après la projection du film «La Nuit des Charbonniers». Un film à ne pas manquer!
Au cinéma d’Oron, demain vendredi 23 novembre à 20h
Du 12e siècle à nos jours
CR | Combustible et source d’énergie, le charbon de bois et de terre (houille) est exploité depuis des siècles. Des contes de charbonniers, contes créole, yiddish, japonais, breton et autres dans le monde témoignent de ce passé. En Suisse selon la légende, le duc Bertold de Zähringen en route vers Fribourg en Nuithonie passa une nuit chez un charbonnier. Lorsqu’il se réveilla sa cape blanche était bicolore. Le duc aurait alors décidé des couleurs noire et blanche du blason fribourgeois. Le récit date du début du 12e siècle. C’est seulement au 18e siècle, lors de la révolution industrielle, que va se généraliser l’utilisation du charbon de terre. L’invention de la machine à vapeur est déterminante dans son histoire. Commence alors l’exploitation industrielle des mines. Depuis les années 1970, les conséquences de la pollution sur l’environnement et la mise en danger de la santé des mineurs ont mené à l’abandon des mines et à choisir la consommation d’autres combustibles. Aux Etats-Unis, sous la présidence de Donald Trump qui ne se soucie guère des problèmes climatiques, la réouverture des sites d’exploitation a donné du travail à de nombreux chômeurs. Les petits Américains du futur liront-ils des contes de mineurs heureux de retrouver un emploi.