La justice sociale: une plante à cultiver
Gérard Bourquenoud | Pour les poètes, la justice sociale est une cigogne qui s’envole dans les airs, signe d’un événement heureux. Une merveilleuse parole qui nous plonge dans une profonde perplexité, car pour bon nombre d’humains, la justice sociale est une illusion, un songe, pour ne pas dire une chimère inaccessible. Et pourquoi? Parce que trop d’hommes et de femmes n’ont pas la force de caractère de se défendre ou de se révolter contre les injustices sociales de notre société actuelle. Ils sont contraints de les supporter sans se plaindre. C’est presque une humiliation dans un pays riche comme le nôtre.
Il serait en effet de bon augure que l’on commence à se préoccuper de ceux et celles qui, pour des raisons de maladie et de handicap, n’ont plus la possibilité de travailler malgré la bonne volonté qui les anime et qui, en plus, ne touchent qu’une prestation dérisoire de l’AI. Exemple : cette jeune fille de vingt ans qui, il y a un demi-siècle, a été contrainte d’élever seule son fils suite à une aventure avec un homme marié qui l’a obligée à se taire toute sa vie et qui ne lui jamais donné un sou. Et que d’autre part, elle n’a à aucun moment été aidée par les services sociaux. Autre exemple : cette mère de famillle qui a également élevé ses cinq enfants pratiquement seule, du fait que son mari, victime d’un accident de forêt, s’est trouvé subitement paralysé et dans une chaise roulante. Un calvaire de quinze ans pour cette femme qui a travaillé d’arrache-pied pour nourrir et assurer le bien-être de sa famille. Il y aurait une multitude de cas à énumérer.
Toutes deux sont depuis quelques années atteintes dans leur santé et souffrant des maux de notre siècle. Elles ne sont plus en mesure d’exercer une quelconque activité professionnelle. Par la force des choses, la première citée n’a que l’AVS pour vivre, la seconde doit se contenter d’une petite rente AVS et d’une modeste prestation de l’AI de son mari, ce qui lui permet juste de payer son appartement, ses assurances, ses impôts, ses médicaments. Et comment font-elles toutes deux pour se nourrir et s’habiller? Une seule solution: faire des heures de ménage malgré leur âge et leurs douleurs physiques. Un pécule qui leur offre de quoi manger. C’est tout. De telles situations nous amènent à nous poser la question: «Faut-il être étranger, réfugié ou requérant d’asile pour être en mesure de bénéficier d’une aide complémentaire?» Ce qui nous attriste aussi, c’est que certaines institutions sociales se fichent totalement de ces personnes dans le besoin et qui doivent lutter quotidiennement pour survivre.
Chacun de nous est le jardinier de cette plante rare et merveilleuse qu’est le bonheur. Pour grandir et fleurir, celle-ci a besoin de soleil. Pour l’être humain, le soleil c’est l’affection, l’amour, la santé. Une lumière qui peut se traduire par un sentiment de justice qui vaut mieux que des louanges ou des flatteries, mais qui est une synthèse d’infini respect pour tous ceux qui vivent très modestement, pour ne pas dire dans la pauvreté, alors que notre pays gaspille des millions pour l’aide à l’étranger et des campagnes politiques qui n’apportent rien à la société.
Le bonheur n’est-il pas cette chance de se lever chaque matin, de pouvoir marcher, de voir le ciel? Que ceux et celles qui n’ont pas cette chance puissent au moins bénéficier d’une justice sociale équitable. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants dans ce pays et des millions dans le monde pourraient ainsi vivre plus heureux.
Un nonagénaire me disait récemment qu’après la germination, il y a la croissance. Et quand les racines ont poussé en profondeur, la plante du bonheur devient un arbre impérissable et fécond pour l’être humain. Pour soi et pour les autres, la justice sociale peut aussi être comparée à une plante dont la semence se doit d’être cultivée dans une terre propice à l’épanouissement de tous ceux et celles qui vivent proche de l’indigence.