La foi en l’insurrection des consciences
Colette Ramsauer | «Jean Ziegler, l’optimisme de la volonté», un documentaire de Nicolas Wadimoff
La première séquence du film nous montre un Jean Ziegler indigné par des photos qu’il présente à la caméra: des enfants au visage rongé par le noma. Suivent des images d’archives de son enfance heureuse à Thoune entre 1934 et 1953, puis de l’époque où déjà il voulait changer le monde.
Au-delà de l’ambiguïté
Après «Les Spartiates», prix de Soleure 2015, tableau de la misère sociale dans les quartiers nord de Marseille, le réalisateur Nicolas Wadimoff signe à nouveau un excellent documentaire en dressant le portrait de Jean Ziegler, 82 ans, intellectuel tant controversé dans son pays, combattant infatigable des abus du capitalisme.
Sujet délicat, sur un «question-réponse» avec celui qui fut son professeur de sociologie. L’ancien élève nous mène au-delà de l’ambiguïté du personnage, nous assurant qu’il ne s’est pas assagi lorsqu’il défend ses convictions. Conjuguées aujourd’hui à une certaine candeur qui fait de lui un être plutôt attachant, rhétorique et dialectique de Jean Ziegler sont intactes. Nicolas Wadimoff cadre l’écrivain devant l’étonnante bibliothèque de livres dont il est l’auteur, puis le filme à l’ONU, à la table des négociations dans sa mission actuelle au conseil des Droits de l’Homme. Il le suit durant un voyage come back à Cuba où s’entremêlent joie des retrouvailles et appréhension – pour celui qui a connu El Che et approché maintes fois Fidel Castro – de voir basculer le régime en place de l’Etat insulaire.
Erica, sa muse
Dans les rues de La Havane, au Musée Del Che, sur un domaine agricole de l’île ou le plateau de TV, à l’hôpital où il est admis en urgence, son épouse apparaît à ses côtés, discrète face à la caméra. Erica, l’historienne de l’art, est sa muse; elle est à l’écoute, admirative, parfois dubitative et amusée. Lorsque solitaire dans le salon d’un l’hôtel elle savoure un grand air du répertoire classique, à l’observer on devine son raffinement. On imagine aussi l’écart entre intérêt pour l’art et combat mené par son conjoint contre la faim dans le monde. Leur complémentarité sans doute.
Quelques regrets
Entre «pessimisme de l’intelligence et optimisme de la volonté», axiome cher à la gauche communiste, l’altermondialiste Jean Ziegler a choisi sa voie, qui titre le film. Lors des interviews, il revient souvent sur sa rencontre avec El Che en 1970, qui a déterminé son parcours de vie. «Parce qu’il y a une insurrection des consciences, un réveil certain des peuples à changer le monde», nous dit le camarade pour qui subsiste l’espoir d’un changement proche et inéluctable de nos sociétés.
Il dit regretter ses erreurs, ses manques, ses contradictions. Défendant son credo «solidarité, analyse claire, espérance», aujourd’hui il attaque ses opposants, «les fonds vautours» avec plus de réserve. Une tempérance qui, dans le film réussi de Nicolas Wadimoff, rejoint les tons pastel de la vue panoramique, saisie par le caméraman Camille Cottagnoud, du quai Malècon. Magnifique !
Cinéma d’Oron (voir programme) «Jean Ziegler, l’optimisme de la volonté» du réalisateur Nicolas Wadimoff Suisse 2016, doc. 100’ version française, 16 ans