Initiative pour le remboursement des soins dentaires • Interview
Sonya Butera et Brigitte Crottaz, députées médecins membres de la commission de la santé publique, nous expliquent les tenants et aboutissants d’une telle initiative:
Nous savons aujourd’hui qu’une partie de la population renonce à se faire soigner à cause du coût, quelles conséquences cela peut-il avoir sur la santé en général?
Sonya Butera: Les affections bucco-dentaires courantes sont d’origine bactérienne (d’ailleurs, la maladie bactérienne la plus répandue au monde est la carie!) En l’absence de soins, ces foyers infectieux représentent un risque pour la santé générale, en provoquant des accouchements prématurés par exemple. En présence d’une candidose buccale, il est fréquent que toutes les voies digestives soient également infectées avec des répercussions sur l’équilibre gastro-intestinal…
Brigitte Crottaz: La mauvaise santé buccale a bien sûr des conséquences locales, avec infections et risques de pertes de dents, mais aussi générales, puisqu’un lien a pu être démontré entre des infections parodontales et le développement de l’athérosclérose. D’autre part,
un édentement partiel ou un mauvais appareillage conduit à des troubles de l’alimentation en raison des difficultés de mastication et donc à une possible altération
de l’état général ou aggravation de maladies sous-jacentes, comme par exemple le diabète.
De ce fait, est-ce que l’introduction d’une assurance publique de soins dentaires pourrait faire diminuer le coût global de la santé?
S.B.: Oui, très clairement les effets sur le coût ne seront pas immédiats. Il est surtout envisageable qu’à terme, en renforçant la prise en charge prophylactique individuelle, une assurance publique de soins dentaires permette de diminuer le coût moyen des soins dentaires….
Nous avons déjà lu les premières salves venant de la société des médecins-dentistes qui prétendent que l’introduction d’une telle assurance ferait baisser la responsabilité individuelle. Que leur répondez-vous?
B.C.: La discussion sur la responsabilité individuelle existe aussi dans la LaMal, où les 10% des frais à charge des patients ainsi que la franchise ont pour but de rendre les patients conscients des coûts qu’ils engendrent. Malgré tout, lorsque l’on souffre d’une maladie chronique nécessitant un traitement coûteux, et à vie, quel est le sens de cette responsabilisation ? Dans le cas de la médecine dentaire, je doute qu’il y ait surconsommation comme on peut le craindre en médecine générale. Personne ne va de gaieté de cœur subir un traitement dentaire alors que l’on connaît la tendance à l’abus qui peut s’observer en fin d’année, lorsque la franchise est atteinte et que certains patients souhaitent divers examens diagnostics sans raison médicale.
Dans le débat sur l’introduction de la LaMal en 1994, le refus d’inclure les soins dentaires dans l’assurance de base a été justifié par certains sous prétexte que ce ne serait que de l’esthétique. Qu’en pensez-vous?
B.C.: La partie esthétique de la médecine dentaire devra être clairement définie. L’orthodontie, même lorsqu’elle ne remplit pas les critères fixés par l’AI, est souvent indispensable pour une bonne occlusion dentaire, une mastication efficace et ainsi la possibilité d’éviter des surcharges de forces sur certaines dents qui nécessiteraient plus tard des traitements. Pour le reste, le détartrage régulier comme prévention, le traitement des caries ou le remplacement de dents dévitalisées ou cassées ne revêt pas un caractère esthétique. Toutes nos dents (hormis les dents de sagesse) sont utiles à une mastication régulière et symétrique.
En quel sens la création d’un réseau de policliniques dentaires publiques peut-elle se justifier?
S.B.: Elle compléterait l’offre en soins des cabinets privés à l’instar de ce que font les cliniques dentaires scolaires (gérées par les communes). Dans tous les domaines de la médecine, il existe une offre en soins tant publique que privée. Aussi, certaines populations de patients nécessitent des compétences ou des plateaux techniques qu’il serait indiqué de ne pas limiter à la seule région lausannoise, cette disponibilité pouvant être assurée par un tel réseau.
Quelle est l’importance d’une prévention chez les enfants en âge de scolarité alors que l’on peut craindre que pour des raisons d’économies, elle diminue ou disparaisse?
S.B.: La prévention est l’un des piliers de la médecine moderne ! La période de l’enfance et de l’adolescence est le moment pendant lequel s’acquièrent une multitude de comportements… Ceux-ci ne sont, fort heureusement, pas le seul résultat d’un apprentissage au sein du noyau familial. Les pairs, l’école et l’ensemble des lieux fréquentés contribuent à cette acquisition.
En fait, si l’on regarde de plus près les programmes de prévention, on s’aperçoit que certains messages préventifs sont utiles à la prévention de plusieurs problèmes de santé… un bon exemple est l’alimentation: éviter des sucreries et choisir des crudités comme 10 heures n’est pas uniquement un message de prévention de la carie dentaire. S’il fallait envisager des économies dans la prévention, il faudrait plutôt chercher à rationaliser les messages.
Pour un salaire mensuel de 5000 francs, la cotisation annuelle équivaudrait à 300 francs pour un salarié. Que pouvons-nous nous faire soigner actuellement pour ce montant?
B.C.: La somme de 300 francs par an couvrirait sans problème la prévention par un détartrage annuel, voire semestriel chez certains patients où il serait indiqué. Le reste de la somme serait mis en réserve pour faire face à des traitements onéreux comme des traitements de racine, des mises en place d’implants ou la réalisation de prothèses, ces événements survenant généralement et fort heureusement plus tard dans la vie. La difficulté sera de définir quel traitement est adapté pour chaque patient en faisant abstraction de son niveau socio-économique et en évitant une médecine dentaire à deux vitesses. Après quelques années d’exercice, il sera plus aisé de définir si ce niveau de cotisation est suffisant ou s’il doit être adapté.
Propos recueillis par Céline Misiego