Gilbert Sulliger a fêté ses nonante ans
La vie de Gilbert est empreinte de tendresse, d’humilité et d’humour. Son parcours est une vraie chanson. Et la chanson, Gilbert la connaît bien. Celle de Charles Trénet, de Jean Villard Gilles, de Georges Brassens ou de Jean Ferrat. C’est un jukebox vivant. Je lance un titre au hasard, «La montagne», et le voici qui entonne cet hymne au vieux pays: «Pourtant que la montagne est belle!» La poésie classique également n’a aucun secret pour cet ancien professeur de français. C’est un émouvant délice de l’entendre réciter «L’Albatros» de Charles Baudelaire. Choyé, certes, mais s’ennuyant tout de même un peu dans cet EMS de la Colline où il réside aujourd’hui, le poète qu’il est à coup sûr est cousin du prince des nuées: ses ailes de géant, en son vieux corps, l’empêchent de marcher. Gilbert s’est marié en 1952. Avec sa femme, ils vécurent un amour inconditionnel qui leur a offert quatre beaux enfants. Cette sereine famille a habité longtemps dans le quartier de Valmont, à Lausanne, avec pour voisin Emile Gardaz, l’illustre poète-animateur radio. Sans doute se sont-ils souvent croisés en fredonnant dans l’escalier! Gilbert aime la nature, tout particulièrement les oiseaux. Il emmenait volontiers ses enfants les observer. Oh! les parades des grands tétras! Gilbert a un regard et une timidité d’enfant. Je lui cite le mot de Jean Piaget, dont il a suivi quelques cours lors de ses études de lettres: «L’enfant, le père de l’Homme!» Professeur durant une quarantaine d’années, notamment au gymnase de Chamblandes, on peut dire que Gilbert a bien «ramé». Même qu’en sa jeunesse, il s’est presque qualifié pour les JO… en aviron! «Toute caresse toute confiance se survivent!» nous dit Paul Eluard. C’est sereinement que Gilbert aborde les derniers lacets de ce chemin de vie bordé de poésie et de chansons. J’aime à penser qu’une telle humble et souriante sagesse ne s’éteint pas, mais nous donne à tous rendez-vous à une bienheureuse coda, comme dans l’orchestre de Louis Armstrong ou de Sydney Béchet… Une musique chère à ce swinguant nonagénaire. Bonne fête Monsieur Gilbert! Ce fut un régal de vous rencontrer.
Pierre Dominique-Scheider, Chronicœur de Chexbres