Evian présente un Raoul Dufy méconnu
Pierre Jeanneret | Avec le printemps, la tradition de la virée en bateau à Evian-les-Bains a repris. C’est l’occasion d’ajouter l’art à la balade sur les quais et au bon repas. Le Palais Lumière (dont on admirera la somptueuse coupole Art nouveau) présente une exposition très originale sur l’artiste français Raoul Dufy (1877-1953). Celle-ci comporte bien sûr un certain nombre de tableaux, où l’on retrouve ses thèmes favoris: ports normands, plages, courses hippiques, soirées mondaines. Mais l’accent est mis sur un aspect méconnu, voire un peu injustement sous-estimé, de son travail. Raoul Dufy a été l’un des plus grands artistes décorateurs au service de l’industrie textile et de la mode. En cela, il était fidèle à un principe fondamental de l’Art nouveau: supprimer la distance entre arts «majeurs» (peinture, sculpture) et arts «mineurs» (céramique, tissus, mobilier, objets de la vie quotidienne). Dès 1912, il va travailler pour la maison Bianchini-Férier et fournir des gouaches ou des aquarelles, transposées en tissus. Il concourra aussi à la célébrité du créateur de mode Paul Poiret en lui fournissant des motifs pour ses robes de soirée. L’exposition en présente une série. Leurs décors sont magnifiques: Dufy aime la représentation des feuillages, des fleurs et des fruits, des animaux, où l’éléphant a sa prédilection, des papillons… Il renouvelle ainsi la tradition des indiennes, ces tissus imprimés qui firent la fortune du 18e siècle. En s’associant avec le céramiste catalan Josep Llorens Artigas, Raoul Dufy crée en outre des décorations pour des céramiques.
L’artiste, devenu célèbre, reçoit une série de commandes de l’Etat français. La plus célèbre est l’immense peinture – la plus grande du monde avec ses 624 m2 – dédiée à la Fée Electricité, pour un pavillon de l’Exposition universelle de Paris en 1937. On peut en voir à Evian une version réduite, où l’on retrouvera tous les savants qui ont fait progresser la science électrique.
Raoul Dufy a aussi été un grand concepteur de décors et de costumes pour le théâtre. Il a notamment collaboré avec Jean Cocteau pour Le Bœuf sur le toit (1920), musique de Darius Milhaud. Une excellente vidéo parcourt et explique ces différents aspects de son art.
Dufy est parfois considéré comme un «petit peintre» parce que sa touche est légère, cursive, presque désinvolte dans sa facilité. On remarquera son invention la plus originale: la dissociation de la couleur et du dessin. Pour lui, c’est ce dernier qui avait la priorité. Toute son œuvre – qu’il s’agisse de robes somptueuses, de tissus pour des fauteuils évoquant les édifices célèbres de Paris et Versailles, de costumes de scène, et bien sûr de tableaux – respire le bonheur de vivre, comme l’indique justement le titre de l’exposition.
«Raoul Dufy. Le bonheur de vivre», Palais Lumière Evian, jusqu’au 5 juin.