Donc, voilà !
Pierre Dominique Scheder | Chaque époque a ses expressions standards. Dans les années septante, par exemple, les discours étaient émaillés de «à la limite», de «pour rebondir» ou bien ponctués d’un «pour faire court» avant que l’orateur ne se lance dans un très savant, mais non moins chiant, monologue. Actuellement, en ce monde à la recherche de simples évidences, deux petits mots juxtaposés font un tabac. Leur simple énoncé coupe court à tout débat ou argument: «Donc, voilà!» Méfions-nous-en comme de la peste. Ils annoncent immanquablement la tempête ou une catastrophe à la Gaston Lagaffe, dont voici quelques illustrations.
«Mon Cher Monsieur Lambelet, je vous ai convoqué à mon bureau directorial pour… comment vous dire… Nous avons dû procéder à quelques restructurations et le franc fort nous affaiblit… Euh… La conjoncture, les factures, le prix de la confiture… vous comprenez… On est dans la marmelade. Donc, voilà! Vous êtes licencié!»
Ou, rentrant naïf à la maison après une journée de travail, votre femme vous confie un peu gênée, le visage virant au rouge: «Tu sais le jeune représentant en produits de beauté… Il est passé cet après-midi! Il est sympa!» «Et alors?» «Ben je lui ai offert un café… et… mes lèvres… Donc, voilà! Chéri, t’es cocu!»
Ou encore, votre médecin, tout emprunté, cherchant les mots justes, vous confie les résultats des analyses de votre bilan de santé: «Oui, cher patient, comment vous dire? Nous avons trouvé… une tumeur au foie… de la grosseur d’une noix… Euh! Inopérable… Donc, voilà! Vous en avez au maximum pour deux mois…»
C’est ainsi que nos ingénieurs, nos consultants, nos généraux, nos chefs de cabinets nous annonceront les prévisibles séismes nucléaires, économiques, militaires, climatiques ou autres… bredouillant d’insolences et d’incompétences: «Donc voilà! C’est la fin du monde! C’est comme ça!»