Après la démocratie…
A priori, les enjeux des élections municipales en France dont le premier tour s’est tenu ce dimanche 22 mars n’auraient pas dû faire l’objet d’une chronique du Courrier. Abstention élevée, poussée du Front National (FN), possible maintien de la gauche au second tour dans plusieurs villes clés mais retour de la droite dans d’autres: rien de très nouveau. L’analyse est claire et un peu ennuyeuse: la majorité présidentielle paie son impopularité dont la droite, qui n’est pas beaucoup plus populaire, ne profite qu’à la marge, le tout faisant le bonheur du FN. Il est certain que par rapport aux sujets qui dominaient ces dernières semaines, y compris au sein de cette chronique: menaces de guerre en Crimée, attentats en Russie, manifestations mortelles en Ukraine, le vote français fait pâle figure.
Mais voilà, au-delà de la France, il y a l’Espagne et la gigantesque manifestation de samedi dernier qui a dégénéré, faisant plusieurs centaines de blessés, certes légers mais blessés quand même au cœur d’une capitale européenne où la démocratie représentative, plus récente qu’ailleurs il est vrai, semble fermement établie. Des tentes ont même été installées, à la mode ukrainienne, sur une grande avenue du centre pour les volontaires qui passeront la nuit. Il est important sans doute de protester contre l’austérité, le chômage, la politique gouvernementale, en l’occurrence «l’urgence sociale», mais c’est traditionnellement aux partis d’opposition de s’atteler à cette tâche. La rue peut soutenir ou initier le processus mais elle doit savoir accepter de passer le relais, à moins que, comme en Ukraine, plus personne ne croit à cette élite sociale et politique censée représenter la masse.
On y vient doucement, apparemment, en France et en Espagne. Voter pour un parti extrémiste, manifester ou s’abstenir ne fait pas une grosse différence: dans tous les cas c’est un rejet, un abandon, signe d’une désaffection. On jette l’éponge, à l’instar de tous ceux, plus nombreux qu’on croit, qui n’ont même pas pris la peine de s’inscrire sur les listes électorales. Tout se passe comme si la représentation démocratique, incarnée par les députés élus et symbolisée en la nation assemblée, ne convainquait plus qu’une minorité. Ce n’est pas encore la révolution, sans doute mais le fossé grandit. Une tendance est là, qui se diffuse en France et en Espagne, amenant on ne sait quoi, d’un peu moins policé, de plus anarchique au moins dans les premiers temps, puis de vraisemblablement autoritaire. De façon significative, la seule consultation en France qui fasse encore un peu recette est celle, très monarchique, du président.
Laurent Vinatier