Ai Weiwei détourne les arts traditionnels chinois dans un sens critique
Pierre Jeanneret | Exceptionnelle exposition au Palais de Rumine, à ne pas manquer! D’abord parce que Ai Weiwei, de renommée internationale, est le plus grand artiste chinois vivant. Ensuite parce que la présentation de son oeuvre très variée occupe tout ou partie des sections de Rumine. L’exposition intéressera adultes et enfants, d’autant plus qu’une brochure à la disposition des visiteurs explique clairement le sens des œuvres. Né en 1957, Ai Weiwei est un dissident, longtemps objet des tracasseries et persécutions du régime communiste, si bien qu’il a fini par émigrer à Berlin. S’il reprend les matériaux, les techniques et les thèmes de l’art traditionnel chinois, c’est en les détournant dans un sens critique et de résistance au totalitarisme. Pour réaliser ses créations, souvent monumentales et faites de matériaux les plus divers, il a engagé une centaine d’artisans: céramistes, sculpteurs, ébénistes, etc. Mais commençons la visite, et cela par la section des Beaux-Arts de Rumine, où l’on va trouver l’essentiel de l’exposition.
Dans une série de photos, l’artiste fait un doigt d’honneur à de nombreux bâtiments emblématiques du pouvoir (Colisée, Maison-Blanche, Reichstag et autres). Par là-même, il affirme sa liberté. Quant à l’immense tapisserie de papier peint qui recouvre les quatre parois de la grande salle, elles représentent… des caméras de surveillance, des chaînes et des menottes, allusion évidente à la propre incarcération arbitraire d’Ai Weiwei en 2011, et à celle des innombrables prisonniers politiques en Chine. Un bon exemple de détournement d’un matériau noble: alors que le marbre a été utilisé pour construire le Temple du Ciel et le mausolée de Mao à Pékin, l’artiste l’emploie pour représenter un objet politiquement signifiant, une caméra de surveillance.
Chasse au trésor à travers les diverses sections du Palais de Rumine
L’exposition offre par ailleurs un aspect ludique. Le visiteur est en effet invité à repérer nombre d’oeuvres de l’artiste, disséminées à travers les autres sections du Palais: archéologie et histoire, géologie ou zoologie. Ce qui offre aussi l’occasion de (re)découvrir les riches collections du Musée cantonal, par exemple le bel ensemble de bronzes celtiques ou l’étincelante de pierres précieuses. Une oeuvre particulièrement significative: dans trois panneaux de briques, Ai Weiwei se représente en train de faire tomber une précieuse porcelaine de la dynastie Han. N’est-ce pas là une allusion au saccage des oeuvres anciennes, sous la tristement célèbre Révolution culturelle des années 1970? Et il y a aussi un côté «jeu de pistes» qui consiste à dénicher ses oeuvres au milieu des collections: par exemple le masque mortuaire de son père, qui fut un poète célèbre, au milieu d’autres masques, notamment égyptiens. On admirera aussi de délicats travaux en bambou. Ainsi Ailes cassées rêvant, excellemment placé dans la section du musée qui évoque le ptérosaure qui volait dans notre ciel il y a 220 millions d’années.
C’est à l’étage supérieur de Rumine que l’on trouvera l’apogée de l’exposition, avec un immense cerf-volant à tête de dragon, fait de bambou et de soie, et suspendu au plafond. Ai Weiwei reprend ici un thème important de la civilisation chinoise: le dragon incarne le pouvoir. Mais son oeuvre porte des citations d’activistes emprisonnés, tel Nelson Mandela. Profondément attaché à l’art millénaire de son grand pays, Ai Weiwei, en lui conférant une dimension politique, exprime son esprit de résistance et sa volonté de lutter pour la liberté.
«Ai Weiwei. D’ailleurs c’est toujours les autres» [citation empruntée au dadaïste Marcel Duchamp], Lausanne, Palais de Rumine, jusqu’au 28 janvier 2018 (entrée gratuite!)