Christiane Bonder |
Bissau
Le bateau tiré par le remorqueur, nous remontons le Rio Geba à travers un paysage amazonien et atteignons Bissau en sept heures. Nous nous amarrons au bout d’une digue énorme où se chargent et déchargent les cargos. Comparé à ces colosses des mers, Christer n’est qu’une petite puce. Il faudra lui trouver une place appropriée ou le sortir de l’eau. Pour l’instant, nous remplissons rapidement quelques sacs d’objets usuels, emmenons Olivier, Bricole et les poules puis descendons à terre.
Vue d’avion, l’usine Semapesca forme un U refermé par des grilles. Nous lâchons nos volatiles dans l’immense cour sablonneuse. Leur capacité d’adaptation nous épate… Un studio est mis à notre disposition et une « Mamma » d’humeur rieuse nous prépare gentiment les repas. Durant une semaine, nous imiterons les loirs, comme atteints de la maladie du sommeil. Chaque nuit, je me réveille pourtant en sueur, assise sur le lit et prise de panique. Un cauchemar répétitif me fait presque hurler : nous nous écrasons sur les dangereux rochers des îles Bissagos. J’en suis bien consciente, ce drame évité de justesse m’a traumatisée…
Daniel, un Français employé de longue date par Semapesca, rentre de Dakar. Il nous prie de libérer sous peu le studio pour la famille Madec qui va l’occuper quelques jours. Nous partons visiter la maison qu’on nous prête à l’« Avenida Domingos Ramos ». Claire et spacieuse, avec cuisine et salle de bain, deux terrasses sur un jardin, cette maison construite par les Portugais est vraiment plaisante. Le seul problème est de meubler les 4 pièces. A part un matelas double et une cuisinière, il n’y a rien. Notre vaisselle, le matelas-mousse d’Olivier et le petit frigo à gaz sont sortis du bateau. Daniel nous fournit une table et trois chaises, il nous conseille encore d’engager une « fatou », ce qui me déplaît. Nulle envie de reproduire cette image du Blanc supérieur au Noir… Je change pourtant d’avis en apprenant qu’en engageant cette « fatou », nous lui permettrons de faire manger sa famille. C’est ainsi que se présente bientôt Isabel, une Sénégalaise mariée à un autochtone. Cette femme plantureuse nourrit encore au sein ses trois enfants dont le plus âgé a quatre ans. Elle s’occupera d’Olivier qui n’ira à l’école que le matin.
Tout se met doucement en place. Nous rachetons un grand frigo-congélateur à des Danois quittant le pays et des panneaux de bois nous sont livrés par un bateau des Madec. Des canapés sont fabriqués par Erik, rembourrés avec les duvets qui sont à bord de Christer, puis recouverts de tissus locaux. Une immense table de bricolage assouvira notre besoin de créativité et nos volailles auront leur poulailler.
Olivier et moi développons des pustules qui démangent désagréablement tout autour des chevilles et des pieds. Erik stérilise son couteau à sérigraphie et les incise une à une, en extrayant de petits asticots pareils à ceux des pommes. Souvenirs des marigots…
Pour se rendre au travail à 7 heures, Erik utilise la Peugeot 104 fournie par Semapesca. De mon côté, après avoir confié Olivier au responsable culturel qui conduit aussi sa fille à l’école, je marche avec plaisir sous les allées de manguiers, tout en rêvant durant la vingtaine de minutes que dure le parcours. Nous adoptons un rythme soutenu, d’autant plus qu’Erik doit parfois réceptionner des arrivages de poisson au cours du week-end. Le secteur qu’il conduit s’avère difficile à gérer : le vol y est monnaie courante, la discipline un problème. Les ouvriers qui travaillent chaussés de bottes les remplissent de poisson, autant que leurs sous-vêtements masqués par une blouse de travail. Ils trouvent mille astuces pour sortir en cachette de quoi nourrir les leurs. Un instant d’inattention et hop ! des sacs entiers disparaissent, engloutis par une camionnette aux aguets. Les employés sont lents à la tâche, sous-alimentés et souvent malades. Assises autour d’immenses tables, des femmes trient les crevettes qu’elles conditionnent dans des sachets plastique. Erik doit se montrer sévère, mais lorsqu’un rapport de confiance s’établira enfin, c’est lui qui souvent fermera les yeux en pensant aux conditions difficiles que vivent ces hommes. Pour ma part, je travaille dans les bureaux, rédige des factures et courriers divers. Un petit magasin situé dans l’enceinte de l’usine stocke des denrées alimentaires commandées à Dakar. Les ouvriers y ont accès et je veille à ce que la marchandise soit toujours renouvelée. Mon activité est loin de m’engouer, mais elle est nécessaire à la poursuite du voyage. Côtoyer de près les indigènes tout en saisissant leur manière de vivre, de penser et de réagir est un côté positif et intéressant.